« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme de La Fayette et Lanson

Cours sur Mme de La Fayette et La Princesse de Clèves par Lanson

   En 1894, Gustave Lanson publie son Histoire de la littérature française, qui fait longtemps référence pour ce qui est de la critique littéraire. Misogyne – et en accord avec l’esprit du siècle -, il méprise les femmes et ne leur accorde qu’une place limitée. Dans son ouvrage plus synthétique de 1929 (écrit en collaboration avec P. Tuffrau), Manuel illustré d’Histoire de la littérature française et dont je dispose, il ne cite, pour le 17e siècle par exemple, que Mme de La Fayette et Mme de Sévigné. Aucune femme pour le 18e siècle, sauf Mme du Deffand (qu'il inclut dans le chapitre XIII titré "Indices d'une transformation prochaine" et à laquelle il consacre deux pages) et Mme de Staël qu’il inclut à juste titre dans le 19e siècle comme préparant le romantisme : elle a droit à un chapitre entier.    

   Ses analyses sont bien entendu à tendance psychologisante : l’œuvre est souvent expliquée par le tempérament et l’existence.    

   Il semble toutefois intéressant de se pencher sur la manière dont il évoque ces femmes de lettres pour les raisons suivantes :

  •    comment furent-elles longtemps perçues ?
  •    dans quelle mesure et dans quel sens la critique littéraire a-t-elle progressé ?
  •    que peut-il nous apprendre que nous ignorons au sujet de Mme de La Fayette, en tout cas les élèves d’aujourd’hui ?
  •    quel était le style en vogue au 19e siècle ?
  •    que devaient apprendre les lycéens du 19e siècle ? En effet, chaque chapitre est suivi d’un questionnaire qui laisserait pantois élèves et enseignants actuels.   

   Lanson inscrit Mme de Lafayette et Mme de Sévigné dans la partie titrée « Les Mondains », à la suite de La Rochefoucauld et avant le cardinal de Retz (Chapitre IV).

Mme de La Fayette

   Dans une courte introduction, on peut lire : « Mme de La Fayette partagea sa vie entre l’amitié de La Rochefoucauld et celle de Mme de Sévigné. Elle a composé La Princesse de Clèves (1678), court toman semblable à une tragédie de Corneille par l’intrigue, mais écrit avec un naturel et une simplicité qui font songer à Racine. »

   Remarques

   Voilà qui est faire bon marché d’une existence bien remplie ! Si Mme de La Fayette aima très certainement La Rochefoucauld (notons que Lanson utilise le terme « amitié » comme l’exige la bienséance), elle eut bien d’autres amies que Mme de Sévigné et connut une existence mondaine lorsqu’elle fut dame d’honneur d’Henriette d’Angleterre. Ceci dit, Lanson précisera plus bas sa pensée, qui se rapproche davantage de la vérité.  

   Par ailleurs, elle écrivit bien autre chose que La Princesse, qui reste un chef-d’œuvre unique et qui n’a droit pour Lanson qu’au titre de « court roman » ; qui plus est, il se sent obligé de le comparer aux ouvrages de Corneille et Racine, comme si cela pouvait le légitimer. Certes, on trouve dans La Princesse des échos cornéliens et raciniens (Mme de La Fayette connaît ses classiques, d’autant qu’ils lui sont contemporains) mais pas que cela. Nous savons aujourd’hui que c’est le premier roman d'analyse.   

   Le premier paragraphe est titré Vie de Mme de La Fayette. Son caractère.

   « Le caractère d’une femme est de n’avoir rien qui puisse marquer », a écrit Mme de La Fayette. Toute sa vie, elle observa cette réserve exquise qui enveloppait un jugement très sûr. Ce fut là le charme qui la mit en crédit à la cour et qui valut à Marie Madeleine Pioche de la Vergne (née en 1634 dans une famille de très petite noblesse, mariée selon les convenances à un comte auvergnat), les confidences de la jeune et brillante Madame, belle-sœur du roi, l’amitié intime de la marquise de Sévigné, l’attachement passionné de La Rochefoucauld vieillissant. Ces deux dernières affections se sont partagé sa vie : Mme de Sévigné, quelque peu sa parente, noua avec elle une amitié qui dura quarante ans sans le moindre nuage, et bon nombre des Lettres célèbre ont été écrites dans ce « petit hôtel de le rue de Vaugirard, proche de la rue Férou », où sa santé fragile tenait Mme de La Fayette trop souvent recluse. C’est aussi là que tous les jours, sauf ceux où la goutte le tourmentait trop cruellement, on voyait apparaître La Rochefoucauld vieillissant, épris de cette charmante femme, de vingt ans moins âgée que lui. On causait à trois dans la vaste chambre où, les soirs d’été, dans le jardin, on retouchait les Maximes, dont l’âpre ironie effarouchait Mme de La Fayette : on subtilisait ( ?) sur les caractères de chacun et parfois les propos prenaient un tour si triste « qu’il semble, écrit Mme de Sévigné, qu’il n’y ait plus qu’à nous enterrer. »

   La mort de La Rochefoucauld rompit cette intimité à trois. Mme de La Fayette ne s’en consola point. « Tout le monde, écrit-elle un jour de mélancolie, perd la moitié de soi-même avant que d’avoir été rappelé. » Elle mourut en 1693, ayant peu produit car elle ne se piquait point de littérature et aimait « se baigner » dans la paresse. Mais elle avait écrit un chef-d’œuvre, en confessant à demi le secret douloureux de sa propre vie : La Princesse de Clèves (1678). »

   Plusieurs remarques s’imposent.

   * Les citations ne sont pas référencées.

   * Le style est évidemment désuet et approprié à l’idée qu’on se faisait, au 19e siècle d’une femme : elle ne peut être que « charmante », d’une « réserve exquise », « brillante » et de « santé fragile ». Charmante ? Pas belle du tout, Mme de La Fayette ! Réservée, voire froide, certes, mais pourquoi cette « réserve » doit-elle être « exquise » ?  Effarouchée, Mme de La Fayette, par les Maximes ? Possible, mais voilà qui entre bien dans le tableau que nous en dresse Lanson : une femme vivant à l’abri du monde, ne fréquentant que deux autres personnes (c’est vrai lorsque la maladie l’atteignit mais avant cela, elle eut une vie agitée et mouvementée), recluse dans un jardin et mélancolique.

   * Les lieux communs se succèdent : « jugement très sûr », « attachement passionné » (on peut se demander si La Rochefoucauld, à son âge, était encore capable de passion), amitié « sans le moindre nuage », tourments cruels de la goutte, « âpre ironie », inconsolable après la mort du duc, « un jour de mélancolie », « secret douloureux », etc.

   * Une vague allusion à ses autres œuvres : « ayant peu produit ».    

   * Tout de même, aveu du « chef-d’œuvre ». Mais nous ne saurons pas pourquoi. Seule justification : elle aurait avoué ainsi le « secret douloureux de sa propre vie. » Ainsi, Lanson explique l’œuvre par la vie de l’auteur, ce qu’interdit la critique littéraire récente.

   Dans le deuxième paragraphe, il passe directement à l’analyse de La Princesse de Clèves, précédée de ce résumé, où l’on reconnaîtra les poncifs et les clichés moralisants du temps :

   « Mlle de Chartres, âgée de seize ans, épouse M. de Clèves, sans l’aimer véritablement. Le jeune et beau duc de Nemours s’éprend d’elle, et elle se sent près de partager sa passion coupable. Elle demande appui à sa mère qui meurt en l’exhortant à songer à ce qu’elle doit à son mari et à elle-même. Puis elle se tourne vers son mari, elle lui laisse entendre que son cœur est de plus en plus troublé, elle le supplie de la protéger contre elle-même. Le duc de Clèves accueille cet aveu avec douceur et bonté ; il consent, à ce que, sous un prétexte, sa femme demeure éloignée de la cour. Mais, trompé par de faux indices, il croit qu’elle reçoit Nemours à son insu. Il est saisi d’un tel chagrin que sa femme, accourue à son chevet, a juste le temps de ses justifier : il meurt. Désormais la princesse de Clèves est libre. Néanmoins Nemours est la cause de la mort de son mari : elle ne l’épousera pas. Elle le lui explique dans un admirable entretien qui est en même temps un aveu. Puis elle se retire dans un couvent où elle refuse de recevoir celui qui l’aime et qu’elle aime. Elle meurt bientôt. »           

   Suivent une quinzaine de lignes d’analyse. Malheureusement, ma page est déchirée. On distingue les termes « tragique cornélien », « religion », « précision de l’analyse », « amour vertueux », « âmes », « douceur inconnue », « langage délicat », « raciniens », « pénétration », « sobre ». Aucun exemple. On apprenait Lanson par cœur et l’argument d’autorité prévalait. De toute manière, le commentaire ou l'explication de texte n'existaient pas. Les lycéens et étudiants ne rédigeaient que des dissertations... où ils citaient éventuellement Lanson, comme nous pouvons citer aujourd'hui Barthes, Propp et les autres...     

   Vient le questionnaire pour les élèves :

  1. Racontez la vie de Mme de La Fayette.
  2. Quels furent ses grands amis ?
  3. Quelle est son œuvre capitale ?
  4. Donnez-en le sujet.
  5. À quel écrivain fait songer l’intrigue ?
  6. Caractérisez le style de cet ouvrage.   

   Lanson termine par des conseils de lectures :

   - A. Le Breton, Le Roman au 17e siècle (Hachette, 1890),

   - D’Haussonville, Mme de La Fayette (Hachette, 1891).

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