Catherine Bernard
Catherine Bernard, romancière classique, chaînon entre Mme de Lafayette et les romans sentimentaux du XVIIIe siècle
La romancière Catherine Bernard a compris la signification du roman classique, ne se contentant pas d’en imiter les traits extérieurs.
* Eléonor d'Yvrée
Elle publie Eléonor d’Yvrée, première nouvelle des Malheurs de l’amour, en 1687. Elle y procède à une analyse sensible et fait partager au lecteur la vie intérieure de ses personnages, retrouvant quelque peu l’âme poétique de Mme de La Fayette. En somme elle forme le chaînon entre La Princesse de Clèves et les romans sentimentaux de Prévost, Mme de Tencin et Rousseau. Un bémol : avoir situé l’action (sans nécessité) au Moyen Age sous l‘empereur Henri II et le pape Sylvestre. Toutefois, l’action reste vraisemblable, nulle rencontre inattendue, aucune situation paradoxale.
Eléonor est séparée du duc de Misnie, qu’elle aime, par sa situation familiale, adroitement exploitée par la mère du duc ; c’est d’une façon toute naturelle que le duc cherchant la compagnie de Matilde, la meilleur amie d’Eléonor, pour se plaindre et parler de l’absente, devient amoureux de Matilde, elle-même secrètement amoureuse de lui, et de façon tout aussi naturelle que cet amour sans véritable profondeur est balayé dès que le duc revoit Eléonor et peut enfin s’expliquer avec elle. La scène où Eléonor apprend de Matilde la vérité sur ses sentiments envers le duc, celle où le duc lui rend son amour sans pouvoir la faire renoncer au mariage avec le comte de Retelois auquel elle s’est engagé, celle qui réunit Matilde, le duc et Eléonor et où celle-ci déclare qu’elle épousera le comte pour laisser Matilde épouser le duc (et quel sacrifice !), celle où Eléonor au chevet de Matilde gravement malade, trouve enfin le courage d’exécuter une chose « à quoi elle était dès longtemps résolue, mais qu’elle aurait peut-être toujours différée », le dernier entretien du duc et d’Eléonor, sont d’un émotion à la fois intense et discrète, pleine de noblesse et de réalisme : tout y est juste et bien observé. Matilde n’est pas une rivale déloyale et ne cherche pas à égaler la générosité de son amie dont elle reconnaît l’héroïsme. Le duc ressemble au duc de Nemours de La Princesse, mais moins brillant et plus proche de nous. Eléonor accomplit ce qu’elle croit être son devoir après de terribles hésitations et n’y trouve pas le bonheur. Les méditations de la jeune femme sont particulièrement intéressantes : elle ne balance pas entre devoir et amour (trop schématique) mais suit les élans de son cœur. Très réussis aussi le mouvement dramatique, les silences et les brusques revirements des scènes principales, le suspense maintenu presque jusqu’au dénouement, fort sombre : accablée par la rage et les injures du duc, la fièvre de Matilde s’aggrave et elle meurt. Il apprend cette mort froidement, trop désespéré par le mariage d’Eléonor ou pour se soucier de sa ruine, vengeance du père de Matilde. Et Eléonor vit avec son mari « comme une personne dont la vertu est parfaite, quoi qu’elle fût toujours malheureuse par la passion qu’elle avait dans le cœur. »
* Catherine Bernard publie également Le Comte d’Amboise en 1689 et Inès de Cordoue en 1696. On y remarque le sombre pessimisme de la romancière : le malheur, qui fait partie intégrante de la condition humaine et de la nature des passions, s’aggrave de malchance et de la faiblesse des caractères. Une originalité : elle insère dans Inès de Cordoue des contes de fées (ils sont à la mode) : une jeune fille devient amoureuse d’un rosier, une femme confond son amant et son mari etc. Ils lui permettent, avec son esprit sceptique, de parodier les beaux sentiments avec ironie. Son pessimisme va jusqu’au nihilisme dans le dénouement du Prince Rosier où l’amour des deux jeunes gens protégés des fées, s’achève dans la jalousie et la haine.
Sources : Le Roman jusqu'à la Révolution, Henri Coulet (première édition 1967, réédition Armand Colin, 2000).
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