Sentiment de la nature
Je suis d'une nature désordonnée ;-)
Excusez-moi, je vous prie, pour le désordre de cet article...
Nature vs campagne chez les poètes du premier 17e siècle
En dépit de quelques exceptions plus tardives, notamment Mme de Sévigné, la princesse Palatine ou La Fontaine, la nature n’est synonyme que de campagne en littérature : elle effraie car elle ne correspond pas à l’échelle humaine.
Théophile de Viau écrit dans son Ode à Cloris :
« La froide horreur de ces forêts,
L’humidité de ces marais,
Cette effroyable solitude
[...]
Grands déserts, sablons infertiles... »
Par contre, les images de la campagne sont partout. On peut citer Malherbe (Psaume CXXVIII) :
« La gloire des méchants est pareille à cette herbe
Qui sans porter jamais ni javelle ni gerbe
Croît sur le toit pourri d’une vieille maison... »
Il se fait le poète des jardins ensoleillés (Sonnet V à Calixte) :
« Tout le plaisir des jours est en leurs matinées
La nuit est déjà proche à qui passe midi. »
Il admire les parcs des belles demeures seigneuriales :
« Apollon à portes ouvertes
Laisse indifféremment cueillir
Les belles feuilles toujours vertes... »
ou encore :
« Beaux parcs et beaux jardins qui dans votre clôture
Avez toujours des fleurs et des ombrages verts... »
Remarquons les jardins clôturés et créés par l'homme, loin de la nature sauvage, dont les « portes ouvertes » laissent entrer le soleil qui, imposant sa présence, annonce un âge d'or :
« La terre en tous endroits produira toutes choses :
Tous métaux seront or, toutes fleurs seront roses,
Tous arbres oliviers ;
L'an n'aura plus d'hiver, le jour n'aura plus d'ombre,
Et les perles sans nombre
Germeront dans la Seine au milieu des graviers. »
Racan, à son tour (Bergeries, Stances) évoque avec bonheur fermes, moissons et herbages en une poésie heureuse. On peut citer « La Venue du Printemps » :
« Ces belles fleurs que nature
Dans les campagnes produit
Brillent parmi la verdure
Comme des astres dans la nuit... »
Ou encore les « Stances à Tircis » :
« Il voit de toutes parts combler d’heur sa famille,
La javelle à plein poing tomber sous sa faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers,
Et semble qu’à l’envi les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S’efforcent à emplir sa cave et son grenier. »
Ainsi pour Malherbe et ses contemporains, la nature est symbole d’ordre et de beauté, loin de toutes représentations grandioses. On songe à Baudelaire : « Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté... » Ces poètes aiment les eaux calmes et claires, comme Tristan l’Hermitte : « Claires eaux qui lavez les fleurs... », la campagne paisible comme Saint-Amant qui écrit après un séjour aux Canaries (« L’Automne des Canaries ») :
« L’orange un même jour y mûrit et boutonne
Et durant tous les mois on peut y voir en ces lieux
Le printemps et l’été confondus dans l’automne... »
Ou qui évoque les champs près de Paris (« Sur la moisson d’un lieu proche de Paris ») :
« ... Déjà les moissonneurs
Dépouillant les sillons de leurs jaunes honneurs
La désolation rendent et gaie et belle. »
Pour eux donc, la nature se résume à la campagne habitée, peignée, humanisée, avec une maison entourée de terres : le thème du domaine où l’on vit heureux, comme La Maison de Sylvie (Théophile de Viau), La Maison d’Astrée (Tristan L’Hermitte), Le Palais de la Volupté (Saint-Amant) préfigurent les palais allégoriques des romans précieux.
En prison, Théophile de Viau rêve d’emmener sa chère Cloris dans une petite bicoque à la campagne, symbole d’un bonheur futur : « Je cueillerai ces abricots, /Les fraises à couleur de flamme... »
Le lyrisme de ces poètes du premier 17e siècle reste fondé sur le réel, la mesure et la raison, bien loin du rêve. Terminons cette courte étude par Malherbe qui, évoquant la belle Calixte, écrit : « Qu’en dis-tu, ma raison ? »
La raison, le maître-mot à l’orée du siècle classique...
Sources : Un certain XVIIe siècle, Jean Tortel (André Dimanche Editeur, 1994)
Remarque : la pastorale dramatique, comédie champêtre ou bergerie de Racan
L’Italie de la Renaissance a déjà transposé à la scène, pour ses fêtes de Cour, les églogues ou idylles de la tradition pastorale, lyrique ou romanesque. Les Valois, également, ont aimé ces brillants divertissements où se mêlent vers, musique et danse. La pastorale dramatique proprement dite naît à la littérature en France avec une Bergerie de Montchrestien (1601). Alexandre Hardy sacrifie ensuite à cette forme nouvelle dont il fixe les codes : cadre champêtre idéalisé, chaîne amoureuse unissant et défaisant les couples au fil de l’intrigue, triomphe de l’amour vertueux sur l’amour charnel (ou sur le refus de l’amour), scènes de magie, interventions divines, épisodes burlesques.
Racan célèbre les charmes de la vie champêtre et exploite ce thème dans une pastorale dramatique à l’image du Tasse et d’Honoré d’Urfé, les Bergeries (1620). Avec un réalisme familier, il évoque la campagne qui ne se résout pas à n’être qu’une Arcadie conventionnelle de la littérature pastorale. Dans son éloge de la retraite (« Les Stances sur la retraite », 1618), on ressent la sérénité d’un épicurien. La Fontaine, puisant à la même source d’inspiration, le célèbrera.
Ce genre de la comédie champêtre n’a qu’un temps. Mais l’utopie bucolique, la « chaîne » des amours et le merveilleux spectaculaire passeront dans les comédies de Corneille et de Molière, dans les tragédies de Racine, dites aussi « pièces à machines » et l’opéra, plus tard encore chez Marivaux.
L'exception de Saint-Amant, poète hédoniste
En dépit de ce qu’affirme Jean Tortel plus haut, l’œuvre poétique de Saint-Amant se démarque de celle de ses contemporains bien qu’elle reste nourrie de l’influence de Théophile de Viau, de la Renaissance française (Marot et Ronsard) et de la poésie précieuse et satirique italienne. Ses évocations de la nature tranchent avec le goût classique pour les bocages aimables et civilisés hérités de la pastorale gréco-latine.
Dans le poème « La Solitude », il propose un décor nocturne de ruines, de torrents et de précipices, à l’image des paysages tourmentés de la seconde partie du 18e siècle, tout à fait étranger aux bords du Lignon que célèbre L’Astrée. Il possède un certain goût pour le fantastique ou le macabre (les poèmes « Visions », « La Chambre du débauché »).
Il s’intéresse aussi à des tableaux d’intérieur, comme « Le Fromage », « Le Cantal » ou « Le Melon » (où il s’appelle lui-même le « Démocrite normand », voir infra) et pourrait passer pour un lointain ancêtre de Francis Ponge (Le Parti-pris des choses) en célébrant les plaisirs des sens. Cet hédonisme prend une tonalité rabelaisienne, parodique, voire satirique dans « Cabarets » ou « Rome ridicule ». Il faut dire que Saint-Amant est un joyeux luron libertin qui ne recule pas devant la débauche dans les cabarets du temps, les agapes et les rites des « goinfres » (titre d’un de ses poèmes).
Se vantant de ne savoir ni le latin ni le grec, il insiste comme ses prédécesseurs de la Pléiade sur le rôle essentiel de l’inspiration, privilégiant, dit-il, une composition « par caprice » où les images luxuriantes priment sur la rigueur formelle.
Détesté par Boileau, il est victime d’un long oubli avant d’être redécouvert par Théophile Gautier au 19e siècle qui écrit : « Ce n’était pas chez lui l’amour des pasquinades [pitreries], des équivoques et des plaisanteries plus ou moins grossières, mais un sentiment pittoresque semblable à celui des Jan Steen, des Ostade, des Téniers [peintres hollandais du 17e siècle] et des Callot [graveur et dessinateur]. »
Voici un extrait de « Solitude », une ode qui agaça fortement les classiques mais plut aux romantiques, par sa fantasmagorie diabolique et morbide :
« ... Que j’aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés,
Conter qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence !
Les sorciers y font leur sabbat ;
Les démons follets s’y retirent,
Qui d’un malicieux ébat
Trompent nos sens et nous martyrent ;
Là se nichent en mille trous
Les couleuvres et les hiboux.
*
L’orfraie, avec ses cris funèbres,
Mortels augures des destins,
Fait rire et danser les lutins
Dans ces lieux remplis de ténèbres.
Sous un chevron de bois maudit
Y branle le squelette horrible
D’un pauvre amant qui se pendit
Pour une bergère insensible,
Qui d’un seul regard de pitié
Ne daigna voir son amitié.
[...]
Au creux de cette grotte fraîche,
Où l’amour se pourrait geler,
Écho ne cesse de brûler
Pour son amant froid et revêche (1).
Je m’y coule sans faire de bruit,
Et par la céleste harmonie
D’un doux luth, aux charmes instruit,
Je flatte sa triste manie,
Faisant répéter mes accords
À la voix qui lui sert de corps... »
Et voici son ode au melon :
Extrait du « Melon »
« Quelle odeur sens-je en cette chambre ?
Quel doux parfum de musc et d'ambre
Me vient le cerveau réjouir
Et tout le cœur épanouir ?
Ha ! bon Dieu ! j'en tombe en extase :
Ces belles fleurs qui dans ce vase
Parent le haut de ce buffet
Feraient-elles bien cet effet ?
A-t-on brûlé de la pastille ?
N'est-ce point ce vin qui pétille
Dans le cristal, que l'art humain
A fait pour couronner la main,
Et d'où sort, quand on le veut boire,
Un air de framboise (2) à la gloire
Du bon terroir qui l'a porté
Pour notre éternelle santé ?
*
Non, ce n'est rien d'entre ces choses,
Mon penser, que tu me proposes.
Qu'est-ce donc ? je l'ai découvert
Dans ce panier rempli de vert :
C'est un melon où la nature,
Par une admirable structure,
A voulu graver à l'entour
Mille plaisants chiffres d'amour,
Pour claire marque à tout le monde
Que d'une amitié sans seconde
Elle chérit ce doux manger
Et que, d'un souci ménager,
Travaillant aux biens de la terre
Dans ce beau fruit seul elle enserre
Toutes les aimables vertus
Dont les autres sont revêtus.
*
Baillez-le moi, je vous en prie, Que j’en commette idolâtrie :
Oh ! quelle odeur ! qu’il est pesant !
Et qu’il me charme en le baisant !
Page, un couteau, que je l’entame ;
Mais qu’auparavant on réclame,
Par des soins au devoir instruits,
Pomone, qui préside aux fruits (3),
Afin qu’au goût il se rencontre
Aussi bon qu’il a belle montre
Et qu’on ne trouve point en lui
Le défaut des gens d’aujourd’hui.
*
Notre prière est exaucée ;
Elle a reconnu ma pensée :
C’en est fait, le voilà coupé,
Et mon espoir n’est point trompé.
O Dieux ! Que l’éclat qu’il me lance
M’en confirme bien l’excellence !
Qui vit jamais un si beau teint !
D’un jaune sanguin il se peint ;
Il est massif jusques au centre,
Il a peu de grains dans le ventre,
Et ce peu là, je pense encor
Que ce soient autant de grains d’or ;
Il est sec ; son écorce est mince ;
Bref, c’est un vari manger de prince ;
Mais, bien que je ne le sois pas,
J’en ferai pourtant un repas... »
On peut rapprocher ce poème au réalisme savoureux des natures mortes et des tableaux flamands du temps (cf. illustration) qui encourront un peu plus tard le mépris de Louis XIV.
_ _ _
Notes
(1) La nymphe Écho aimait Narcisse qui n’aimait que lui-même. Elle finit par ne plus être qu’une voix désincarnée, l’écho.
(2) Vin framboisé de Bourgueil.
(3) Nymphe romaine des fruits.
Opinion de Taine sur le rapport à la nature des écrivains du XVIIe siècle
Taine retouche et publie en 1860 sa thèse pour le doctorat de 1853, Essai sur les fables de La Fontaine, sous le titre La Fontaine et ses fables. Dans cet extrait, il soutient que le 17e siècle n’a pas le sentiment de la nature (voir première partie de l'aticle).
Taine écrit :
« Pour des nobles, gens de salon, une belette, un rat, ne sont que des êtres roturiers et malpropres. Une poule est un réservoir d‘œufs, une vache un magasin de lait, un âne n’est bon qu’à porter les herbes au marché. On ne regarde pas de tels êtres, on se détourne quand ils passent ; tout au plus on en rit, et on en vit, comme des paysans leurs compagnons d’attelage ; mais on passe vite ; ce serait encanailler la pensée que de l’arrêter sur de pareils objets. Au défaut des instincts nobiliaires les répugnances physiques suffisaient à l’en détourner. Ces seigneurs et ces dames parées qui passent leur vie à représenter ne se trouvent à leur aise qu’entre des panneaux sculptés, devant des glaces resplendissantes ; s’ils mettent le pied par terre, c’est sur des allées ratissées ; s’ils souffrent les bois et les eaux, ce sont des eaux lancées en gerbes par des monstres d’airain, ce sont des bois alignés en charmilles. La nature ne leur plaît que transformée en jardin. Qu’est-ce qu’un bœuf, un coq, un cochon viendront faire dans une semblable monde ? Qui en supportera l’idée ? Un bœuf sent l’étable, un coq piétine dans le fumier, un cochon fouille de son groin dans les relavures et dort voluptueusement dans la fange tiède. Fi, l’horreur ! Quel courtisan parfumé en manchettes de dentelles pourra découvrit une apparence de beauté dans cette boue ? Je le vois d’avance qui s’effraye des éclaboussures et des puces, et recule en se bouchant le nez. Un seul genre de vie intéresse au dix-septième, la vie de salon ; on n’en admet pas d’autres ; on ne peint que celle-là. »
Le texte ci-dessous de La Fontaine semble confirmer ses dires à propos de "La nature ne leur plaît que transformée en jardin" :
Extrait du Songe de Vaux
« ... Libre de soins, exempt d'ennuis,
Il ne manquait d'aucunes choses :
Il détachait les premiers fruits,
Il cueillait les premières roses ;
Et quand le ciel armé de vents
Arrêtait le cours des torrents
Et leur donnait un frein de glace
Ses jardins remplis d'arbres verts
Conservaient encore leur grâce,
Malgré la rigueur des hivers.
*
Je promets un bonheur pareil
A qui voudra suivre mes charmes ;
Leur douceur lui garde un sommeil
Qui ne craindra point les alarmes.
Il bornera tous ses désirs
Dans le seul retour des Zéphyrs ;
Et, fuyant la foule importune,
Il verra du fond de ses bois
Les courtisans de la fortune
Devenus esclaves des rois.
*
J'embellis les fruits et les fleurs :
Je sais parer Pomone et flore ;
C'est pour moi que coulent les pleurs
Qu'en se levant verse l'Aurore.
Les vergers, les parcs, les jardins,
De mon savoir et de mes mains
Tiennent leurs grâces nonpareilles ;
Là j'ai des prés, là j'ai des bois ;
Et j'ai partout tant de merveilles
Que l'on s'égare dans leur choix.
*
Je donne au liquide cristal
Plus de cent formes différentes,
Et le mets tantôt en canal,
Tantôt en beautés jaillissantes ;
On le voit souvent par degrés
Tomber à flots précipités ;
Sur des glacis je fais qu'il roule,
Et qu'il bouillonne en d'autres lieux ;
Parfois il dort, parfois il coule,
Et toujours il charme les yeux.
*
Je ne finirais de longtemps
Si j'exprimais toutes ces choses :
On aurait plus tôt au printemps
Compté les œillets et les roses.
Sans m'écarter loin de ces bois,
Souvenez-vous combien de fois
Vous avez cherché leurs ombrages :
Pourriez-vous bien m'ôter le prix,
Après avoir par mes ouvrages
Si souvent charmé vos esprits ? »
La Fontaine vante ici les charmes des jardins de Vaux-le-Vicomte, propriété de Fouquet, son protecteur. Certes, il s'agit d'une nature policée et protectrice, mais elle ensorcelle tout de même le promeneur. (Voir infra)
Notons également cette fable inspirée des Géorgiques de Virgile et de l’Empire des roses du poète persan Saadi, traduit dès 1634, et qui révèle une inspiration proche du romantisme (mais si !) :
Le Songe d’un habitant du Mogol
(Extrait)
« ... Si j’osais ajouter au mot de l’interprète,
J’inspirerais ici l’amour de la retraite :
Elle offre à ses amants des biens sans embarras,
Bien purs, présents du Ciel, qui naissent sous les pas.
Solitude où je trouve une douceur secrète,
Lieux que j’aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit goûter l’ombre et le frais ?
O qui m‘arrêtera sous vos sombres asiles !
Quand pourront les neuf Sœurs, loin des cours et des villes,
M’occuper tout entier, et m‘apprendre des cieux
Les divers mouvements inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartés errantes,
Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes ?
Que si je ne suis né pour de si grands projets,
Du moins que les ruisseaux m’offrent de doux objets !
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie !... »
*
Un lien intéressant sur la peinture hollandaise et la nature ici
Boileau et la nature
On peut s’attarder sur l’Épître VI de Boileau (1683) titrée « À Monsieur de Lamoignon », grand magistrat. L’auteur vante les plaisirs bucoliques qu’il goûte dans sa propriété campagnarde du Vexin.
« Oui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville,
Et contre eux la campagne est mon unique asile.
Du lieu qui m’y retient veux-tu voir le tableau ?
C’est un petit village ou plutôt un hameau,
Bâti sur le penchant d’un long rang de collines,
D’où l’œil s’égare au loin dans les plaines voisines.
La Seine, au pied des monts que son flot vient laver,
Voit du sein de ses eaux vingt îles s’élever,
Qui, partageant son cours en diverses manières,
D’une rivière seule y forment vingt rivières.
Tous ses bords sont couverts de saules non plantés,
Et de noyers souvent du passant insultés.
Le village, au-dessus, forme un amphithéâtre :
L’habitant ne connaît ni la chaux ni le plâtre,
Et dans le roc, qui cède et se coupe aisément,
Chacun sait de sa main creuser son logement.
La maison du seigneur, seule, un peu plus ornée,
Se présente au dehors[1], de murs environnée.
Le soleil en naissant la regarde d’abord,
Et le mont la défend des outrages du Nord.
C’est là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici, dans un vallon bornant tous mes désirs,
J’achète à peu de frais de solides plaisirs.
Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J’occupe ma raison d’utiles rêveries ;
Tantôt, cherchant la fin d’un vers que je construi[2],
Je trouve au coin d’un bois le mot qui m’avoit fui ;
Quelquefois, aux appas d’un hameçon perfide,
J’amorce en badinant le poisson trop avide ;
Ou d’un plomb qui suit l’œil, et part avec l’éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l’air.
Une table, au retour, propre et non magnifique,
Nous présente un repas agréable et rustique
[...]
Qu’heureux est le mortel, qui, du monde ignoré,
Vit content de soi-même en un coin retiré,
Que l’amour de ce rien qu’on nomme renommée
N’a jamais enivré d’une vaine fumée,
Qui de sa liberté forme tout son plaisir,
Et ne rend qu’à lui seul compte de son loisir !
Il n’a point à souffrir d’affronts ni d’injustices.
Et du peuple inconstant il brave les caprices.
Mais nous autres, faiseurs de livres et d’écrits,
Sur les bords du Permesse[3] aux louanges nourris,
Nous ne saurions briser nos fers et nos entraves,
Du lecteur dédaigneux honorables esclaves.
Du rang où notre esprit une fois s’est fait voir,
Sans un fâcheux éclat nous ne saurions déchoir.
Le public, enrichi du tribut de nos veilles,
Croit qu’on doit ajouter merveilles sur merveilles ;
Au comble parvenus il veut que nous croissions :
Il veut, en vieillissant, que nous rajeunissions.
Cependant tout décroît ; et moi-même à qui l’âge
D’aucune ride encor n’a flétri le visage,
Déjà moins plein de feu, pour animer ma voix,
J’ai besoin du silence et de l’ombre des bois :
Ma Muse, qui se plaît dans leurs routes perdues,
Ne saurait plus marcher sur le pavé des rues ;
Ce n’est que dans ces bois, propres à m’exciter,
Qu’Apollon[4] quelquefois daigne encor m’écouter... »
Pistes de lecture
1/ Le paysage classique
- La description s’ouvre sur un lieu commun.
- Dans ce tableau champêtre, Boileau rappelle les procédés de la grande peinture contemporaine (Poussin, le Lorrain). Un certain ordre préside à la mise en perspective du site.
2/ Plaisirs rustiques
- Convention et originalité
- Certaines remarques sont à porter au crédit de l’intellectuel dit « classique ».
- Style varié, tantôt familier, tantôt humoristique, tantôt même héroï-comique.
3/ Le poète aux champs
- Développement bâti sur une antithèse. Misères et ambiguïtés de la condition d’écrivain.
- Lyrisme.
La Fontaine et la nature
Attaché à la personne de Fouquet, il subit les conséquences de sa chute. Il adressa alors un appel retentissant, non sans témérité, à la clémence du Louis XIV dans son Élégie aux Nymphes de Vaux.
Quant à Mme de la Sablière, elle l’hébergea durant vingt ans et elle ne se déplaçait jamais « sans son chien, son chat et la Fontaine. »
Mme de Sévigné appréciait La Fontaine : « Cela est peint », écrivit-elle à sa fille, notamment à propos des animaux auxquels La Fontaine attribuait tel ou tel caractère humain d’après leurs caractéristiques physiques : la tortue « qui va son train de sénateur » (VI, 10), la belette « au long corsage » (VIII, 22), , l’huître « bâillant au soleil, épanouie, blanche et grasse » (VIII, 9), l’hirondelle « caracolant, frisant l’air et les eaux » (X, 6), etc.
En vertu des sujets traditionnels de l’apologue, La Fontaine transpose la scène aux champs : c’est l’occasion de dessiner des paysages, à petits traits rapides qui suggèrent plus qu’ils ne disent, car La Fontaine possède l’art du raccourci. Ses paysages n’ont rien de conventionnel, ce sont nos paysages bien français. N’oublions pas que son enfance se passa en flâneries dans les bois où son père, en sa double qualité de de maître des forêts et de capitaine des chasses, avait mission de surveiller les coupes et les battues. Il mena en province, près de Château-Thierry, une vie insouciante, emplie de rêveries. Son père lui transmit sa charge de forestier mais il s’y déroba rapidement et s’installa à Paris. Il décrit ainsi « ces plaines immenses de blés où se promène de grand matin le maître et où l’alouette cache son nid ; ces bruyères et ces buissons où fourmille tout un petit monde ; ces jolies garennes, dont les hôtes étourdis font la cour à l’aurore dans la rosée et parfument de thym leur banquet, c’est la Beauce, la Sologne, la Champagne, la Picardie ». Voici nos fermes, avec leur basse-cour, leur clos planté d’oseille, de laitue et de serpolet (IV, 4), leur mare dont le moindre vent fait rider la surface (I, 22). Sainte-Beuve écrit dans ses Portraits littéraires : « La Fontaine est le poète de la vieille France, comme le gardien fidèle de son vieux et charmant langage. »
Retour sur Théophile de Viau et la nature
Voici quelques extraits de ses premières Odes, guère originales et relevant encore de la veine exploitée par les poètes de la Pléiade.
Le Matin
(Extraits)
L'Aurore sur le front du jour
Sème l'azur, l'or et l'ivoire,
Et le Soleil, lassé de boire[1],
Commence son oblique tour.
Ses chevaux, au sortir de l'onde,
De flame et de clarté couverts,
La bouche et les nasaux ouverts,
Ronflent[2] la lumière du monde.
La lune fuit devant nos yeux ;
La nuit a retiré ses voiles ;
Peu à peu le front des étoiles
S'unit à la couleur des Cieux.
Déjà la diligente avette[3]
Boit la marjolaine et le thym,
Et revient riche du butin
Qu'elle a pris sur le mont Hymette[4].
Je vois le généreux lion
Qui sort de sa demeure creuse,
Hérissant sa perruque affreuse
Qui fait fuir Endymion[5].
Sa dame[6], entrant dans les bocages
Compte les sangliers qu'elle a pris,
Ou dévale chez les esprits
Errant aux sombres marécages.
Je vois les agneaux bondissants
Sur ces blés qui ne font que naître ;
Cloris, chantant, les mène paître
Parmi ces costaux verdissants.
Les oiseaux, d'un joyeux ramage,
En chantant semblent adorer
La lumière qui vient dorer
Leur cabinet[7] et leur plumage.
La charrue écorche la plaine ;
Le bouvier, qui suit les sillons,
Presse de voix et d'aiguillons
Le couple de bœufs qui l'entraîne.
Alix apprête son fuseau ;
Sa mère qui lui fait la tâche,
Presse le chanvre qu'elle attache
A sa quenouille de roseau.
Une confuse violence
Trouble le calme de la nuit,
Et la lumière, avec le bruit,
Dissipe l'ombre et le silence.
Alidor cherche à son réveil
L'ombre d'Iris qu'il a baisée
Et pleure en son âme abusée
La fuite d'un si doux sommeil.
Les bêtes sont dans leur tanière,
Qui tremblent de voir le Soleil,
L'homme, remis par le sommeil,
Reprend son œuvre coutumière.
Le forgeron est au fourneau ;
Ois[8] comme le charbon s'allume !
Le fer rouge dessus l'enclume
Etincelle sous le marteau.
Cette chandelle semble morte,
Le jour la fait évanouir ;
Le Soleil vient nous éblouir :
Vois qu'il passe au travers de la porte !
Il est jour : levons-nous Philis ;
Allons à notre jardinage[9],
Voir s'il est comme ton visage,
Semé de roses et de lys.
(Théophile de Viau, Œuvres poétiques)
* * *
La Solitude
(Strophes 1-7)
Dans ce val solitaire et sombre
Le cerf qui brame au bruit de l'eau,
Penchant ses yeux dans un ruisseau,
S'amuse à regarder son ombre.
De cette source une Naïade
Tous les soirs ouvre le portal[10]
De sa demeure de cristal
Et nous chante une sérénade.
Les Nymphes que la chasse attire
À l'ombrage de ces forêts
Cherchent des cabinets secrets
Loin de l'embûche du Satyre.
Jadis au pied de ce grand chêne,
Presque aussi vieux que le Soleil,
Bacchus[11], l'Amour et le Sommeil
Firent la fosse de Silène[12].
Un froid et ténébreux silence
Dort à l'ombre de ces ormeaux,
Et les vents battent les rameaux
D'une amoureuse violence.
L'esprit plus retenu s'engage
Au plaisir de ce doux séjour,
Où Philomèle[13] nuit et jour
Renouvelle un piteux langage.
L'orfraie[14] et le hibou s'y perche[15],
Ici vivent les loups-garous ;
Jamais la justice en courroux
Ici de criminels ne cherche.
Ici l'amour fait ses études,
Vénus dresse des autels,
Et les visites des mortels
Ne troublent point ces solitudes.
Cette forêt n'est point profane,
Ce ne fut point sans la fâcher
Qu'Amour y vint jadis cacher
Le berger qu'enseignait Diane[16].
Amour pouvait par innocence,
Comme enfant, tendre ici des rets[17] ;
Et comme reine des forêts,
Diane avait cette licence.
. . .
On peut s’interroger sur le recours aux légendes antiques et à la mythologie gréco-romaine d’une part, sur le réalisme rustique de certaines strophes d’autre part.
La constante divinisation du monde naturel est une façon pour l’époque d’exprimer une émotion quasi religieuse devant sa grandeur, sa beauté et son mystère.
Pour Viau, l’amour de la nature est sincère : il évoque avec tendresse le domaine paternel.
* * *
[1] L’eau de l’Océan où son char plonge chaque soir.
[2] Soufflent bruyamment en expirant.
[3] Abeille.
[4] Montagne de l’Attique célèbre pour son miel.
[5] Berger aimé de Diane.
[6] Diane, déesse de la chasse. Sous le nom d’Hécate, elle représente une déesse infernale.
[7] Retraite dans la verdure.
[8] Entends.
[9] Jardin.
[10] Portail.
[11] Dieu de la vigne.
[12] Satyre obèse et vieux, toujours ivre.
[13] Princesse légendaire d’Athènes, transformée en rossignol. D'après la légnde grecque, elle pleure la mort de son enfant.
[14] De son vrai nom l’effraie, sorte de chouette. Ce vers et le suivant évoquent ce que Mme de Sévigné appelle "l'horreur de bois."
[15] Accord de l’époque.
[16] Endymion.
[17] Filets.
La nature dans la poésie descriptive de Théophile de Viau / Additif
Théophile de Viau (1590-1626) est un libertin mais, dans ses Odes, il reste attaché à la poésie de la nature et à ses paysages, comme dans « La Solitude », « Le Matin » et « L’Hiver ».
La Solitude (Extrait)
Dans ce val solitaire et sombre,
Le cerf, qui brame au bruit de l'eau,
Penchant ses yeux dans un ruisseau,
S'amuse à regarder son ombre.
De cette source une Naïade
Tous les soirs ouvre le portail
De sa demeure de cristal,
Et nous chante une sérénade .
Les Nymphes que la chasse attire
À l'ombrage de ces forêts
Cherchent des cabinets secrets,
Loin de l'embûche du Satyre.
Jadis, au pied de ce grand chêne
Presque aussi vieux que le Soleil,
Bacchus, l'Amour et le Sommeil
Firent la fosse de Silène.
Un froid et ténébreux silence
Dort à l'ombre de ces ormeaux,
Et les vents battent les rameaux
D'une amoureuse violence.
L'esprit plus retenu s'engage
Au plaisir de ce doux séjour,
Où Philomèle nuit et jour
Renouvelle un piteux langage.
L'orfraie et le hibou s'y perchent,
Ici vivent les loups-garous ;
Jamais la justice en courroux
Ici de criminels ne cherche .
(Strophes 1-7)
Fraîcheur, paix et mystère du vallon... Mais en fait, ces strophes ne sont qu’un prélude : le poète présente le paysage à la bien-aimée. Les notations mythologiques relèvent alors de la convention.
Le Matin (Extraits)
L'Aurore sur le front du jour
Sème l'azur, l'or et l'ivoire,
Et le Soleil, lassé de boire,
Commence son oblique tour.
Ses chevaux, au sortir de l'onde,
De flamme et de clarté couverts,
La bouche et les nasaux ouverts,
Ronflent la lumière du monde.
Ardents ils vont en nos ruisseaux,
Altérés de sel et d'écume,
Boire l'humidité qui fume,
Sitôt qu'ils ont quitté les eaux.
La lune fuit devant nos yeux,
La nuit a retiré ses voiles ;
Peu à peu le front des étoiles
S'unit à la couleur des cieux.
[...]
Déjà la diligente avette
Boit la marjolaine et le thym,
Et revient riche du butin
Qu'elle a pris sur le mont Hymette.
[...]
Je vois les agneaux bondissants
Sur ces blés qui ne font que naître ;
Cloris, chantant, les mène paître
Parmi ces coteaux verdissants.
Les oiseaux, d'un joyeux ramage,
En chantant semblent adorer
La lumière qui vient dorer
Leur cabinet et leur plumage.
[...]
La charrue écorche la plaine ;
Le bouvier, qui suit les sillons,
Presse de voix et d'aiguillons
Le couple de bœufs qui l'entraîne.
Alix apprête sou fuseau ;
Sa mère qui lui fait la tâche,
Presse le chanvre qu'elle attache
À sa quenouille de roseau.
Une confuse violence
Trouble le calme de la nuit,
Et la lumière, avec le bruit,
Dissipe l'ombre et le silence.
[...]
Les bêtes sont dans leur tanière,
Qui tremblent de voir le Soleil ;
L'homme, remis par le sommeil,
Reprend son oeuvre coutumière.
Le forgeron est au fourneau ;
Ois comme le charbon s'allume !
Le fer rouge dessus l'enclume,
Étincelle sous le marteau.
Cette chandelle semble morte,
Le jour la fait évanouir ;
Le Soleil vient nous éblouir :
Vois qu'il passe au travers la porte.
Il est jour : levons-nous, Philis ;
Allons à notre jardinage,
Voir s'il est, comme ton visage,
Semé de roses et de lys.
(Strophes 1-5, 8-12 et 14-17)
Dans ce poème, les sensations sont très présentes, notamment les lumières et les couleurs.
Contre l’hiver
Tous nos arbres sont dépouillés,
Nos promenoirs sont tous mouillés,
L'émail de notre beau parterre
À perdu ses vives couleurs ;
La gelée a tué les fleurs ;
L'air est malade d'un caterre ,
Et l'œil du ciel noyé de pleurs,
Ne sait plus regarder la terre.
La nacelle, attendant le flux
Des ondes qui ne courent plus,
Oisive au port est retenue ;
La tortue et les limaçons
Jeûnent perclus sous les glaçons ;
L'oiseau sur une branche nue,
Attend, pour dire ses chansons,
Que la feuille soit revenue.
Le héron quand il veut pêcher,
Trouvant l'eau toute de rocher,
Se paît du vent et de sa plume ;
Il se cache dans les roseaux,
Et contemple, au bord des ruisseaux,
La bise, contre sa coutume,
Souffler la neige sur les eaux
Où bouillait autrefois l'écume.
Les poissons dorment assurés ,
D'un mur de glace remparés,
Francs de tous les dangers du monde,
Fors que de toi tant seulement,
Qui restreins leur moite élément
Jusqu'à la goutte plus profonde,
Et les laisses sans mouvement,
Enchâssés en l'argent de l'onde.
(Strophes 5-8)
Les premiers vers, un peu naïfs, font penser à certains poètes du Moyen Age, comme Charles d’Orléans. À une certaine préciosité aussi. Le poète révèle ensuite un véritable talent d’animalier.
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Date de dernière mise à jour : 07/03/2024