Littérature mondaine
Introduction
Le développement de la préciosité n'est pas le seul résultat de l'influence qu'exerça la littérature mondaine sur la littérature du XVIIe siècle. Les salons, tenus par des femmes, formant alors le principal public des écrivains, ceux-ci doivent naturellement se conformer aux goûts qui y règnent. De là plusieurs conséquences, fâcheuses ou heureuses.
Si nos écrivains classiques ne font aucune place au lyrisme, c'est que les convenances mondaines interdisent l'étalage de la personnalité ; s'ils négligent de décrire le monde extérieur, c'est que la vie de société fait alors dédaigner l'observation de la nature.
En revanche, s'adressant à des lecteurs et lectrices polis et délicats mais d'une culture très superficielle, ils sont tenus d'exprimer toujours des idées claires dans un langage pur.
Voulant plaire à un public dont l'attention est tournée vers l'étude de l'âme et qui s'intéresse de préférence aux peintures de l'amour, ils sont conduits à donner dans leurs œuvres la place prédominante à l'analyse du cœur humain et de ses passions.
La société mondaine ne se contente pas de fournir à la littérature un public. Elle lui procure aussi des écrivains comme des hommes du monde (le duc de La Rochefoucauld, le cardinal de Retz, le duc de Saint-Simon) et un nombre encore plus grand de femmes : Mme de Motteville, Mlle de Montpensier, Mlle de Scudéry, Mme de La Fayette, Mme de Sévigné, Mme de Maintenon, etc.
Enfin, c'est grâce à elles que plusieurs genres sont cultivés au XVIIe siècle, les portraits, les maximes, la correspondance, les mémoires et les romans.
Les portraits
La vogue des portraits et des maximes est venue du goût qu'on a en ce siècle pour les observations psychologiques et morales. Cette mode règne surtout dans les salons entre 1650 et 1660. Et malgré les attaques dont il est l'objet, le genre est encore cultivé dans les salons au cours des années suivantes : témoin la fameuse « scène des portraits » dans Le Misanthrope (1666) où Molière fait revivre à nos yeux ce divertissement mondain (Acte II, scène 4).
Deux salons, en particulier, se spécialisent dans ce genre, celui de Mlle de Montpensier et de Mlle de Scudéry.
Des salons, les portraits passent dans la littérature. On en trouve dans les Mémoires. Certains romans en fourmillent, en particulier Le Grand Cyrus et Clélie, de Mlle de Scudéry, qui doivent leurs succès aux nombreux portraits où, sous des noms anciens, sont dépeints des personnages contemporains : Mandane (Mme de Longueville), Cléomire (la marquise de Rambouillet), Damo (Ninon de Lenclos), Sapho (Mlle de Scudéry), Parthénie (Mme de Sablé), Élise (Angélique Paulet), Lyrianne (Mme Scarron, plus tard marquise de Maintenon), Clarinte (Mme de Sévigné), Cyrus (Le Grand Condé), etc.
Le portrait finit même par se constituer en genre indépendant. C'est ainsi que Segrais a l'idée de réunir les portraits composés dans le salon de Mlle de Montpensier. Il les publie d’abord sous ce simple titre : Divers portraits recueillis en 1659 ; puis la même année sous cet autre : Recueil des portraits et éloges en prose dédiés à S.A.R. Mademoiselle, formant un volume de 912 pages ; enfin, en 1663, sous ce titre définitif et à rallonge : La Galerie des Peintures ou Recueil des portraits et éloges en vers et en prose, contenant les portraits du Roi, de la Reine, des princes, princesses, duchesses, marquises, comtesses et autres seigneurs et dames les plus illustres de France ; la plupart composés par eux-mêmes, dédiés à S.A.R. Mademoiselle.
Il y a trois sortes de portraits : des portraits imaginaires, reproduisant les traits de personnes réelles (tels ceux des romans de Mlle de Scudéry), des portraits de personnages réels dépeints sous leur vrai nom, par exemple celui de Mme de Sévigné par Mme de La Fayette et Mlle de Scudéry, et des portraits faits par les intéressés eux-mêmes, comme celui de Mlle de Montpensier. Tous ces portraits, naturellement flatteurs, sont à la fois physiques et moraux ; mais il faut remarquer que les portraits physiques manquent en général de précision.
Parodie du portrait
Charles Sorel, en 1659, a tourné ce genre en ridicule dans sa Description de l’Île de Portraiture. Molière s’en est également moqué dans Les Précieuses ridicules. Même dans la fameuse Galerie des Peintures de Segrais, se trouve, au milieu de tant de portraits flatteurs, une caricature amusante, le Portrait de Mme de le Grenouillère, dont voici un fragment :
« J’ai les yeux à fleur de tête et assez gros, mais ils sont ouverts d’un peu trop et ronds, et, pour ne rien déguiser, ils ressemblent à des yeux de lapin blanc. Ils ont un autre défaut encore, c’est qu’ils ne sont pas assez éloignés du nez ; le mien est aquilin et fort pointu, avec une butte fort considérable au milieu, et tout le monde juge que des lunettes ne luis siéraient pas mal ; il est un peu tordu, il rougit au froid, et en hiver il est toujours paré d’une roupie [...] Outre cela, j’ai les gencives plus rouges que le corail, et je ne laisse pas d’avoir l’haleine puante à cause de la mauvaise constitution de mon estomac... »
Et, dans son Dialogue des héros de roman, Boileau a raillé la fadeur habituelle des portraits à la mode, en faisant lire devant Pluton par Sapho, la poétesse grecque, ce portrait de Tisiphone, l’une des trois Furies :
« Tisiphone a naturellement la taille fort haute, et passant de beaucoup la mesure des personnes de son sexe ; mais pourtant si dégagée, si libre et si bien proportionnée en toutes ses parties, que son énormité même lui sied admirablement bien. Elle a les yeux petits, mais pleins de feu, vifs, perçants et bordés d’un certain vermillon qui en relève prodigieusement l’éclat. Ses cheveux sont naturellement bouclés et annelés, et l’on peut dire que ce sont autant de serpents qui s’entortillent les uns dans les autres et se jouent nonchalamment autour de son visage... »
Les maximes
Le genre des maximes est surtout cultivé dans le salon de Madeleine de Souvré, marquise de Sablé (1598-1678), qui se retire en 1659 près du monastère de Port-Royal à Paris. Chez elle fréquentent des ecclésiastiques et des savants, des « Messieurs de Port-Royal » (dont Nicole, Arnauld et Pascal), ainsi que des gens du monde (le duc de La Rochefoucauld, le prince et la princesse de Conti, M. et Mme de Montausier, Mme de Hautefort, la duchesse de Longueville, Mme de La Fayette, la comtesse de Maure, Mlle de Vertus, etc.).
En 1678, l'abbé d'Ailly publie les Maximes de Mme la marquise de Sablé et pensées diverses de M.L.D.
Bien sûr, ce sont les Maximes de La Rochefoucauld qui sont parvenues jusqu'à nous. On en trouve également dans les Pensées de Pascal et Les Caractères de La Bruyère.
La thèse générale de La Rochefoucauld est que l'intérêt ou, comme il l'appelle, l'amour-propre (au sens d’amour de soi, égoïsme) est le moteur de toutes nos actions, même des plus désintéressées en apparence. Mme de Sablé lui en fait atténuer la rigueur en ajoutant des modalisateurs comme « souvent », « d'ordinaire », « chez la plupart des hommes », etc.
Il faut d'ailleurs reconnaître que la thèse de La Rochefoucauld ne lui est pas tout à fait personnelle : on en retrouve des traces chez plusieurs moralistes contemporains qui fréquentent comme lui le salon de Mme de Sablé, et chez Mme de Sablé elle-même. Il est vraisemblable que cette idée de la prédominance en l'homme de l'amour de soi a été répandue dans le salon de Mme de Sablé par les Messieurs de Port-Royal qui viennent voir souvent leur voisine et la convertissent à leur doctrine.
Les mémoires
Si la lettre est un entretien avec des amis éloignés, les mémoires sont une conversation à plus longue portée encore, avec les contemporains inconnus et même avec la postérité. La presse n'existant pour ainsi dire pas au 17e siècle, ceux qui ont joué un rôle dans les événements importants ou qui en ont été simplement les témoins, éprouvent le besoin de les raconter. Ce genre des mémoires est alors cultivé par bien des gens du monde et se poursuivra au siècle suivant.
Chronologiquement, on peut retenir d’une part les mémoires du temps de la Fronde : les Mémoires pour servir à l'histoire d'Anne d'Autriche de Mme de Motteville et les Mémoires de Mlle de Montpensier ; d’autre part, les mémoires du règne de Louis XIV : Mémoires de la Cour de France pour les années 1688 et 1689 et la Vie d'Henriette d'Angleterre de Mme de La Fayette, les Souvenirs de Mme de Caylus.
A la fin du 17e siècle, toutes les formes littéraires sont perçues dans une perspective morale et l’on ne peut s’en tenir à une histoire singulière, d’où le succès des Mémoires au siècle suivant où l’on mélange les genres. On clôt ses expériences de sentences morales et souvent misanthropiques à la manière de La Rochefoucauld, certes plus banales mais frappées au coin du bon sens.
Le genre épistolaire
Le développement de la correspondance provient du développement même de la vie de société, la lettre n'étant que le prolongement de la causerie, une conversation à distance. Ce genre est très goûté à l'Hôtel de Rambouillet. Deux raisons en ont favorisé les progrès : l'état des moyens de communication et la rareté des journaux.
En général, les moyens de communication, s'ils sont trop perfectionnés, nuisent à la correspondance en la rendant banale et, s'ils sont trop imparfaits, lui nuisent aussi en la rendant incommode. Or, au 17e siècle, on peut dire qu'il n'y en a justement ni trop ni trop peu. Les moyens de communication sont beaucoup moins difficiles qu'aux siècles précédents : le service des postes s'améliore peu à peu sous Louis XIII et Louis XIV, grâce à la réglementation de la taxe pour le port des lettres en 1627, à l'installation des « bureaux de dépêches » dans les principales villes, à l'organisation des courriers « ordinaires » et « extraordinaires », à l'établissement de la « petite poste » à Paris par Mazarin, à l'introduction en 1653 des « billets de Port-Payé », sortes de timbres-poste. Mais ils ne sont pas encore aussi faciles que de nos jours : de Paris aux principales villes du royaume, il n'y a que deux « ordinaires » par semaine, et un seul de Paris aux villes moins importantes ; quelques « extraordinaires » s'ajoutent il est vrai aux « ordinaires » ; les uns et les autres sont d'ailleurs assez lents, puisqu'une lettre met cinq jours pour aller de Paris à Marseille et dix de Bretagne en Provence. Ainsi, l'espoir d'une réponse peu éloignée entretient le goût d'écrire, et la nécessité d'attendre assez longuement chaque courrier pour faire partir les lettres permet de les rédiger à loisir avec plus de soin.
Dans ses Lettres, Mme de Sévigné fait allusion au service postal et s'en plaint quelquefois à sa fille, Mme de Grignan : « J'ai reçu enfin, ma fille, vos deux lettres à la fois ; ne m'accoutumerai-je jamais à ces petites manières de peindre de la poste ? Et faudra-t-il que je sois toujours gourmandée par mon imagination ? La pensée du moment où je saurai le oui ou le non d'avoir ou de n'avoir pas de vos nouvelles me donne une émotion dont je ne suis point du tout la maîtresse ; ma pauvre machine en est toute ébranlée ; et puis je me moque de moi. C'était la poste de Bretagne qui s'était fourvoyée pour le paquet de du But uniquement ; car j'avais reçu toutes les lettres dont je ne me soucie point. Voilà un trop grand article ; ce même fond me fait craindre mon ombre toutes les fois que votre amitié est cachée sous votre tempérament ; c'est la poste qui n'est pas arrivée : je me trouble, je m'inquiète, et puis j'en ris, voyant bien que j'ai eu tort... » (Lettre du 14 juillet 1680).
Les journaux, qui commencent à peine à naître au 17e siècle, sont encore bien rares. Certes, il en existe d’un caractère bien particulier. On peut citer La Muse historique de Jean Loret qui, pour amuser Mlle de Longueville, sa protectrice, raconte en vers les menus événements de chaque semaine (1650-1655), Le Journal des Savants, fondé en 1665 par le sieur d'Hédouville (Denis de Sallo, conseiller au Parlement de Paris), ou Les Nouvelles de la République des Lettres, rédigées par Bayle de 1684 à 1687 et continuées à partir de cette date par Henri Basnage.
Mais il n'y a que deux véritables journaux d'informations générales : La Gazette de France (fondée par Théophraste Renaudot le 30 mai 1631), qui paraît chaque semaine sur quatre pages, et Le Mercure Galant (créé en 1672 par Donneau de Visé, bientôt associé avec Thomas Corneille), qui paraît, tous les trois mois d'abord, puis tous les mois, sous la forme d'un petit volume.
Cette rareté des journaux laisse aux correspondances particulières le soin de répandre les nouvelles. Le genre épistolaire a ainsi à sa disposition une plus riche matière qu'aujourd'hui, puisqu'il se charge aussi bien de communiquer les menus faits de la vie privée que les grands événements politiques, littéraires et mondains. On peut distinguer les correspondances bourgeoises, littéraires, religieuses et mondaines. Parmi les correspondances religieuses, il faut mentionner Mme de Chantal (1572-1641), la Mère Angélique (1591-1661), la Mère Agnès de Sainte-Thècle (1625-1700), Jacqueline Pascal (1625-1661), Gilberte Pascal (Mme Périer, 1620-1687), sœur Louis de la Miséricorde (la duchesse de La Vallière, 1644-1710). Pour les correspondances mondaines, citons la duchesse de Montausier (1605-1671), la marquise de Sablé, la comtesse de Maure (1600-1663), Mme Cornuel (1605-1694), Mme de Schomberg (1616-1691), Madeleine de Scudéry, Mlle de Montpensier, Mme de Sévigné, Mme de Grignan (1646-1715), Mme de La Fayette et Mme de Maintenon.
Bien que les hommes excellent dans la correspondance (Guez de Balzac, Voiture), ce sont surtout les femmes qui se sont distinguées dans l'art épistolaire, comme La Bruyère en fait le constat au premier chapitre de ses Caractères : « Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire. »
La plus célèbre de ces épistolières reste Mme de Sévigné. Nous avons d'elle environ 1500 lettres, dont quelques-unes sont publiées en 1697, 1725 et 1726, mais dont la première édition véritable, celle que sa petite-fille Mme de Simiane, confie au chevalier de Perrin, date de 1734 et 1754.
Mais... les femmes sont condamnées au genre épistolaire !
J’ai omis de noter les sources de ce paragraphe et vous prie de m‘en excuser.
« Se déclarer « bel esprit » pour une femme attirait les sarcasmes. Après Les Femmes savantes et Les Précieuses ridicules, fallait-il faire oublier l’étiquette compromettante de précieuse ? On pouvait cacher ce bel esprit sous le simple raffinement mondain car être cultivé était alors une arme à double tranchant : chaque sexe devait garder ses qualités propres et la femme devenait ridicule dès qu’elle montrait trop de savoir. Par ailleurs, selon une théorie du temps, avoir trop d’esprit rendait malade. L’acuité intellectuelle était donc un défaut. La femme commettait alors le péché de libido sciendi, ou concupiscence du savoir : la femme d’esprit péchait contre l’Esprit.
Une femme de la bonne société, si elle voulait écrire, était condamnée aux lettres, aux œuvres de circonstances, aux portraits et aux bagatelles poétiques, soumises aux conventions du genre et du style.
Le pouvoir intellectuel n’existait pas encore. La seule vraie valeur dans une société aristocratique restait la naissance et les alliances. Chez les gens de qualité, la littérature, c’est-à-dire écrire n’était qu’un agréable passe-temps de la vie privée.
Dans ces lettres transparaissaient les travers de ces petites sociétés d’élues : mesquineries et cancans. Mais avoir connaissance de ce qui se passait dans le monde était vecteur de supériorité. On entretenait ainsi un réseau de relations qui permettaient une influence efficace et discrète. Pour exister socialement, on avait besoin des autres et il fallait cultiver les amitiés profitables.
Par ailleurs, ce besoin d’écriture peut se lire comme une victoire sur l’espace et le temps. C’est le cas pour Mme de Sévigné, entre autres, qui s’exile souvent dans sa propriété des Rochers en Bretagne par souci d’économie et qui voyage à droite et à gauche : elle se livre toute sa vie à un commerce épistolaire suivi. Ses lettres, essentielles pour elle, se caractérisent par la qualité de l’information, la pertinence et la richesse des commentaires et, bien entendu, le style. Cette régularité épistolaire est unique dans le siècle. »
Les romans
C'est dans le monde et pour le monde que sont écrits la plupart des romans du 17e siècle. On peut les ramener à trois genres principaux : le roman pastoral, le roman d'aventures et le roman d'analyse.
Après L'Astrée d'Honoré d'Urfé (pastorale conventionnelle où les bergers, parfaitement oisifs au milieu de campagnes fleuries et de troupeaux enrubannés, font assaut de discours galants), ce sont encore des peintures galantes mais placées le plus souvent dans un cadre historique dépourvu de toute exactitude que présentent aux lecteurs patients du XVIIe siècle les auteurs des interminables romans d'aventures, aujourd'hui illisibles.
Citons pour mémoire Artamène ou Le Grand Cyrus (10 volumes et 15 000 pages !) et Clélie, histoire romaine de Georges de Scudéry et sa sœur Madeleine. Le premier tome de Clélie parut en 1654 avec la Carte du Tendre. La publication entière dura six ans, jusqu’en 1660 : dix tomes en cinq parties, soit un total de 7316 pages imprimées en assez gros caractères, ce qui correspond à deux volumes de 1 000 pages de l’actuelle Pléiade. Clélie fut le plus grand succès littéraire du siècle, considéré comme un modèle d’écriture. Le style nous paraît aujourd’hui prolixe, lent et plat alors qu’à l’époque, il frappait par sa clarté, son simplicité et son naturel…
Quant au roman d'analyse, c'est bien sûr La Princesse de Clèves, le chef-d’œuvre de Mme de La Fayette.
Il convient d'ajouter divers romans et contes, notamment les romans de Mme de Villedieu (1640-1683), au nombre de 30 environ, parmi lesquels Les Annales galantes, Le Journal amoureux, Les Mémoires de la vie de Henriette-Sylvie de Molière. N’oublions pas Les Lettres portugaises, traduites en français par Guilleragues en 1669, dont l'auteur, connu seulement en 1810, serait une religieuse franciscaine de Béja, Marianna Alcaforada, qui a aimé un brillant officier français, M. de Chamilly, venu au Portugal en 1663... Mais il s'agit bien en fait de Guilleragues ! Et enfin les Contes de Mme d'Aulnoy, notamment « L’Oiseau bleu » et « La Belle aux cheveux d’or ».
Alexandre et Statira - Le roman d'aventures
Rappelons qu'au 17e siècle, le roman d’aventures se compose de peintures galantes mais placées le plus souvent dans un cadre historique dépourvu d’ailleurs de toute exactitude, que présentaient aux lecteurs patients du siècle les auteurs d’interminables romans d’aventures, aujourd’hui illisibles. Nous avons évoqué Le Grand Cyrus de Madeleine de Scudéry (10 volumes et 15 000 pages).
Voici un fragment de Cassandre (1642-1645, 10 volumes), de Gautier de Coste de La Calprenède (1610-1663).
Le roi Alexandre a épousé la princesse Statira, fille de Darius, qui était aimée du Scythe Oroondate et qui l’aimait elle-même. Le titre du roman, Cassandre, est le nom sous lequel se déguise Statira pendant une partie de l’ouvrage. Alexandre est représenté dans ce livre sous les traits d’un personnage galant, d’un honnête homme du 17e siècle, qui aurait fréquenté la Chambre bleue d’Arthénice...
ALEXANDRE
Le vainqueur des vôtres se laisse vaincre à vous seule, et vous seule pouvez ce que toute l’Asie a vainement essayé. Je rends les armes, belle Princesse, et je tire plus de gloire de ma défaite que je n’en ai tiré de toutes mes victoires ; mais n’usez point avec cruauté de celle que vous avez obtenue avec justice et ne traitez point en ennemi celui qui se déclare votre esclave.
STATIRA
La condition où je suis réduite a si peu de rapports avec celle que vous me donnez, qu’il est malaisé que je conserve l’une et l’autre. Vous êtes encore invaincu, et vous serez toujours invincible, si vous ne l’êtes par d’autres armes que les miennes. La fortune de notre maison, ne m’ayant laissé des yeux que pour pleurer sa désolation, ne me permet pas de m’en servir à d’autre usage, ni de reconnaître autrement que comme mon vainqueur et mon maître celui dont je suis véritablement prisonnière.
ALEXANDRE
Les maximes de l’amour et celles de la guerre sont tellement différentes que la condition de prisonnière de guerre et celle de maîtresse de mon âme ne sont pas incompatibles. Vous ne les conserverez pas longtemps ensemble, et vous perdrez bientôt la première pour accepter la dernière. Nous en ferons un échange et si vous ne dédaignez les vœux d’un roi qui meurt pour vous, je paierai bientôt le prix de votre liberté par celle d’Alexandre.
STATIRA
C’est pour vous délasser des travaux de la guerre que vous vous amusez à l’entretien de vos captives ; je conserverai toujours ce titre, me reconnaissant indigne de celui que mes malheurs ne me permettent pas d’accepter, et je ne désirerai jamais ma liberté qu’avec celle des Reines[1] et le repos de Darius : l’honneur que vous me faites ne me fera point oublier mes misères et n’effacera point de mon esprit le souvenir de ce que doit au grand Alexandre l’infortunée Statira.
La Calprenède, Cassandre, 1e partie, livre IV.
Vincent Voiture
Voiture, élégant poète de salon, devient « l’âme du rond » à l’Hôtel de Rambouillet qu’il fréquente dès 1626 et passe pour le représentant le plus éminent de la société précieuse du temps. Il cultive tous les petits genres mondains en faveur – élégies, épîtres, sonnets, stances, chansons -, illustrant le curieux paradoxe inhérent à la littérature mondaine du siècle : parce qu’il ne veut être qu’homme du monde, il se refuse à passer pour auteur et il faut attendre sa mort (1648) pour voir ses poésies éditées. Il entre toutefois à l’Académie Française. Son influence est considérable dans la formation du goûte et de l’esthétique classiques.
On peut se rendre compte de l’alacrité intellectuelle du temps ici : http://ecrivaines17et18.e-monsite.com/pages/17e-siecle/preciosite/les-belles-matineuses.html
1/ On peut citer de Voiture cette lettre galante, parue dans l’édition posthume de 1649 (Voiture, « Lettres », Œuvres) :
« ... Enfin je suis ici arrivé en vie : et j’ai honte de vous le dire. Car il me semble qu’un honnête homme ne devrait pas vivre après avoir été dix jours sans vous voir. Je m’étonnerais davantage de l’avoir pu faire si je ne savais qu’il y a déjà quelque temps qu’il ne m’arrive que des choses extraordinaires et auxquelles je ne me suis point attendu, et que, depuis que je vous ai vue, il ne se fait plus rien en moi que par miracle. En vérité, c’est un effet étrange que j’aie pu résister jusqu’ici à tant de déplaisirs et qu’un homme percé de tant de coups puisse durer si longtemps ! Il n’y a point d’accablement de tristesse ni de langueur pareille à celle où je me trouve. L’amour et la crainte, le regret et l’impatience m’agitent diversement à toutes heures et ce cœur que je vous avais donné entier est maintenant déchiré en mille pièces. Mais vous êtes dans chacune d’elles et je ne voudrais pas avoir donné la plus petite à tout ce que je vois ici. Cependant, au milieu de tant et de si mortels ennuis, je vous assure que je ne suis pas à plaindre. Car ce n’est que dans la basse région de mon esprit que les orages se forment. Et tandis que les nuages vont et viennent, la plus haute partie de mon âme demeure claire et sereine : et vous y êtes toujours belle, gaie et éclatante, telle que vous étiez dans les plus beaux jours où je vous ai vue, et avec ces rayons de lumière et e beauté que l’on voit quelquefois à l’entour de vous. Je vous avoue que toutes les fois que mon imagination se tourne de ce côté-là, je perds le sentiment de toutes mes peines. De sorte qu’il arrive souvent que lorsque mon cœur souffre des tourments extrêmes, mon âme goûte des félicités infinies, et au même temps que je pleure et que je m’afflige, que je me considère éloigné de votre présence et peut-être de votre pensée, je ne voudrais pas changer ma fortune avec ceux qui voient, qui sont aimés et qui jouissent. Je ne sais si vous pouvez concevoir ces contrariétés, Madame, qui avez l’âme si tranquille. C’est tout ce que je puis faire que de les comprendre, moi qui les ressens : et je m’étonne souvent de me trouver si heureux et si malheureux tout ensemble... »
Fine analyse psychologique qui relève toutes les contrariétés de l’amour.
2/ Et, typique de la préciosité, cette « métamorphose de Julie (1) en diamant »
« En la partie du monde où le soleil se lève et où le ciel engendre les pierres précieuses, naquit par miracle une naïade, la plus accomplie que les dieux eussent jamais faite. Et la mer n’avait jamais rien vu de si beau, non pas même le jour qu’elle fit naître Vénus. Neptune, pour l’amour d’elle, donna de la jalousie à Thétis (2) et à toutes les nymphes de l’océan. Mais lassé de ses mépris, il la changea en une pierre que les Grecs appellent Unique ou Diamant. Comme elle fut incomparablement belle, d’un esprit divin, insensible, opiniâtre et impérieuse, cette pierre a une beauté qui efface toutes les autres, un feu qui semble venu du ciel. Elle ne se peut rompre par nulle force. Elle résiste au fer et au feu et elle monte jusque sur la tête des rois. Comme elle fut aimée de tous ceux qui la connurent, les grands et les petits l’aiment encore, et elle est désirée de tout le monde. Enfin le ciel et la terre ne font rien de si parfait, et les hommes ne connaissent aucune chose de si grand prix. » (Voiture, « Métamorphose », Œuvres)
3/ Enfin, ce poème :
Pour guérir mon esprit...
Ce soir, que vous ayant seulette rencontrée
Pour guérir mon esprit et le remettre en paix,
J’eus de vous sans effort, belle et divine Astrée (3),
La première faveur que j’en reçus jamais,
*
Que d’attraits, que d’appas vus rendaient adorable !
Que de traits, que de feux me vinrent enflammer !
Je ne verrai jamais rien qui soit tant aimable,
Ni vous rien désormais qui puisse tant aimer.
*
Les charmes que l’Amour en vos beautés recèle,
Étaient plus que jamais puissants et dangereux.
O dieux !qu’en ce moment mes yeux vous virent belle !
Et que vos yeux aussi me virent amoureux !
*
La rose ne luit point d’une grâce pareille
Lorsque, pleine d’amour, elle rit au soleil ;
Et l’orient n’a pas, quand l’aube se réveille,
La face si brillante et le teint si vermeil.
*
Cet objet qui pouvait émouvoir une souche,
Jetant par tant d’appas le feu dans mon esprit,
Me fit prendre un baiser sur votre belle bouche,
Mais, las ! ce fut plutôt le baiser qui me prit.
*
Car il brûle en mes os, et va de veine en veine
Portant le feu vengeur qui se va consumant.
Jamais rien ne m’a fait endurer tant de peine
Ni causé dans mon cœur tant de contentement.
*
Mon âme sur ma lèvre était lors tout entière
Pour savourer le miel, qui sur la vôtre était :
Mais, en me retirant, elle resta derrière,
Tant de ce doux plaisir l’amorce l’arrêtait.
*
S’égarant de ma bouche, elle entra dans la vôtre,
Ivre de ce nectar qui charmait ma raison ;
Et sans doute elle prit une porte pour l’autre,
Et ne lui souvint plus quelle était sa maison.
*
Mes pleurs n’ont pu depuis fléchir cette infidèle,
À quitter un séjour qu’elle trouva si doux ;
Et je suis en langueur, sans repos et sans elle,
Et sans moi-même aussi, lorsque je suis sans vous.
(Voiture, « Stances », Œuvres)
Sans doute faut-il ici faire la part des conventions, des artifices de l’amour mondain, du discours amoureux à la mode et de la passion sincère et sensuelle.
Ces trois textes nous offrent les exemples des procédés rhétoriques chers à la littérature de salon (substantifs abstraits, pluriels, hyperboles, périphrases, métaphores, rythmes, savants) mais aussi du ton badin, mélange de sérieux et d’ironie, qui allège une esthétique un peu lourde. On a pu dire que « la préciosité est bien l’art qui joue ».
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Notes
(1) Julie d’Angennes, fille de Mme de Rambouillet.
(2) Divinité marine, mère d’Achille.
(3) Grande vogue du roman d’Honoré d’Urfé.
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Date de dernière mise à jour : 02/08/2023