Libertinage vs religion
[Note : Ne pas le réduire à la débauche et à la galanterie du siècle suivant.]
Le 17e siècle paraît chrétien mais on y distingue un fort courant d’irréligion, théorique et pratique, qui relie Montaigne à Voltaire, alimente les œuvres de La Fontaine et de Molière. Ce courant disparaît dans la seconde partie du siècle, sous l’éclat de la littérature catholique et sous la décence des mœurs imposées par Louis XIV. Mais, entre 1600 et 1660, l’incrédulité s’étale.
La licence des opinions et de la vie a deux causes principales. L’une est la persuasion, fondée sur les conquêtes du 16e siècle, que la raison est toute-puissante. L’autre est l’impétuosité des tempéraments, déchaînés par les guerres civiles : l’individu suit sa passion, rejette toute contrainte, notamment chrétienne. Ainsi l’anarchie politique avait préparé l’anarchie morale.
Les libertins, comme on appelle les incrédules, furent nombreux sous Louis XIII. Il y en avait de deux sortes : un premier groupe était constitué par les philosophes et les érudits, gens discrets, ennemis du scandale, et qui faisaient extérieurement profession de respecter la religion. Le second groupe était celui des mondains, courtisans et femmes, avec quelques poètes et beaux esprits. Ceux-ci faisaient grand bruit, multipliaient les scandales et les indécences. Ce qui leur plaisait le plus dans l’incrédulité, c’étaient les provocations tapageuses, c’était de « faire les braves » contre Dieu. Tel un certain Roquelaure, le plus grand blasphémateur du royaume ou ce Matha et ce Fontrailles qui chargeaient un crucifix l’épée à la main en criant : « L’ennemi ! ». Ces libertins mondains n’avaient pas de doctrine arrêtée, se moquaient des mystères et des dévots, affichaient la tolérance, prétendaient ne suivre que la raison et la nature, et accordaient davantage d’importance à leur estomac qu’à la vie éternelle...
L’Église, aidée par le Parlement, alluma quelques bûchers. Mais les sanctions réprimaient seulement les manifestations éclatantes d’irréligion. Il fallait inventer des freins intérieurs. Ce fut l’œuvre du cartésianisme qui donna à la raison des légitimes satisfactions tout en la maintenant pour un temps dans la soumission à l’Église, ainsi que du jansénisme qui opposa à l’indépendance de la raison le dogme de la grâce.
Le jansénisme
Le foyer du jansénisme en France (né aux Pays-Bas) fut une communauté de femmes qui s’était établie au 13e siècle dans la vallée de Chevreuse, à Port-Royal, et qui venait d’émigrer à Paris, au faubourg Saint-Jacques. L’abbé de Saint-Cyran, directeur de la maison à partir de 1636, y implanta la doctrine de Jansénius (évêque d’Ypres), avec qui il était lié et fit de ces religieuses des croyantes obstinées, au besoin des inflexibles martyres. Les bâtiments de Port-Royal des Champs furent relevés et servirent d’asile aux « Solitaires » (appelés aussi « Messieurs de Port-Royal »). Les Jésuites se déclarèrent leurs ennemis.
Les persécutions commencèrent en 1638 mais elles durèrent tout le siècle et eurent des conséquences au siècle suivant. Les religieuses furent expulsées et Port-Royal détruit en 1710, ainsi que son église et son cimetière.
Saint-Simon écrit dans ses Mémoires : « D’Argenson (le lieutenant de police) arriva dans l’abbaye avec des escouades du guet et des archers. Il se fit ouvrir le portes, fit assembler toute la communauté du chapitre, montra une lettre de cachet ; et, sans leur donner plus d’un quart d’heure, l’enleva tout entière. Il avait amené force carrosses attelés, avec une femme d’âge dans chacun ; il y distribua les religieuses suivant les lieux de leur destination et les fit partir de la sorte, chaque carrosse accompagné de quelques archers à cheval ». Ce fut seulement l’année suivante que l’on vida le cimetière « avec l’indécence qui se peut imaginer » et qu’on rasa « la maison, l’église et tous les bâtiments, comme on fait des maisons des assassins des rois... »
La grande réformatrice de Port-Royal fut la Mère Angélique Arnauld que Racine (qui fut l’un des « Solitaires ») décrivit ainsi : « Fille véritablement illustre et digne, par son ardente charité envers Dieu et envers le prochain, par son extrême amour pour la pauvreté et pour la pénitence, et enfin par les grands talents de son esprit, d’être comparée aux plus saintes fondatrices. »
Notons que Bossuet prêcha un sermon sur le libertinage, "Sur la Providence", lors du "Carême du Louvre" en mars 1662 : les libertins, s'appuyant sur la distribution apparemment incohérente des biens et des maux, nient la Providence. Mais ce désordre n'a qu'un temps ; l'épreuve finie, Dieu juge le juste et l'impie, et sa sentence vaut pour l'éternité. Il faut également en conclure que les grandeurs de ce monde n'ont point d'importance puisqu'elles sont éphémères.
A propos du théâtre et de Bossuet
On se doute que Bossuet s'élève contre le théâtre : "La représentation des passions agréables porte naturellement au péché." Il ajoute : "On s'excite et on s'autorise pour ainsi dire les uns les autres par le concours des acclamations et des applaudissements, et l'air même qu'on y respire est malin." (Maximes et Réflexions sur la comédie, 1694).
Remarque : on peut lire "Un duo" (Littérature, 1941) où Giraudoux confronte les opinions inconciliables de Bossuet et Racine sur la théâtre.
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Date de dernière mise à jour : 25/03/2022